A la veille du démarrage du chantier solidaire, nous devons ré-ajuster notre calendrier pour concevoir ce projet sans le lieu qui l’accueillera. En effet, la ville d’Alfortville souhaite disposer du terrain et pavillon, situé 9 rue Pierre Curie, pour des raisons budgétaires. Nous n’avons pas (encore) eu l’occasion de présenter cette réflexion collective initiée avec des associations culturelles, environnementales, d’éducation populaire, d’arts urbains, avec des entreprises artisanales et de négoce, des architectes, ainsi que des citoyens de toute l’Ile de France qui nous ont contacté pour prendre part au chantier solidaire. Ce n’est que partie remise, le chantier de la maison des alternatives est annulé mais nos énergies créatives restent vives. Merci pour vos soutiens.
Nous aimerions vous partager cet article sur la résilience, qui montre bien qu’un effort d’information et de prise de conscience est nécessaire pour initier des projets de transition citoyenne partagés par toutes et tous, société civile, associations, entreprises et institutions. La région Ile de France soutient ces initiatives d’urbanisme transitoire et nous lançons un appel à identifier les propriétaires fonciers qui souhaiteraient donner un coup de pouce à la transition citoyenne et écologique sur notre territoire.
Soyons résilients ! Le chantier se ré-ajuste avec la consolidation du toit du jardin Pierre Curie, qui accueillera les panneaux solaires. Laurent Prieur, notre partenaire de l’entreprise Soleis Technologies, s’est démené pour nous les trouver et il viendra nous aider à les installer le samedi 25 novembre. Toute la semaine, les jeunes volontaires de la transition énergétique pourront participer à deux chantiers, celui du jardin Pierre Curie et celui de la Cour Cyclette, lieu alternatif en devenir.
“Une des caractéristiques de notre époque, c’est la certitude que nous allons vivre des ruptures. Qu’il s’agisse de la situation économique, énergétique ou climatique, nous savons que notre société est à bout de souffle et en limite de rupture. La croissance exponentielle de nos consommations, de nos émissions ou rejets, du prélèvement sur les ressources, de la population mondiale, des déplacements ou de la dette des États ne peuvent conduire, à terme, qu’à une inversion de nombreuses tendances.
Désormais, il est trop tard pour tout transformer avant ces grands changements. Il est donc préférable de les accepter et de les anticiper avec l’objectif d’améliorer la résilience.
Théorie de la résilience
Le mot résilience est un terme est issu du verbe latin resilio, ire. Ce verbe a deux significations : sauter en arrière, rebondir ou se reculer vivement. Au XVIIème siècle les anglais ont retenu la notion de rebond au travers du mot « resilience », alors que les français on gardé la notion de recul, de renoncement à travers le verbe « résilier ». Aujourd’hui, ce mot est utilisé dans de multiples domaines et avec des significations très variables, justement à cause de cet écart qu’il y a eu entre les deux langues. C’est pourquoi il est toujours important de préciser le contexte.
On trouve des références à la résilience dans les domaines techniques tels que la physique, l’informatique, l’économie, l’armement ou le spatial, mais également dans des domaines plus complexes comme l’écologie, la biologie ou l’étude des systèmes sociaux. Deux visions se distinguent pour expliquer ce qu’est la résilience.
Pour les systèmes ou les réseaux techniques, la résilience caractérise la capacité à continuer à fournir le même service malgré des chocs ou des perturbations importantes. Pour les systèmes socio-écologiques ou les écosystèmes, la perturbation implique une adaptation, voire une réorganisation afin de préserver leur identité et leurs fonctions principales. Dans un cas, il s’agit donc de revenir au même état qu’au départ, dans l’autre, l’adaptation et la réorganisation sont envisagées.
Résilience de quoi ?
La mondialisation est l’étape ultime de l’efficience des sociétés humaines et des économies d’échelle. Par définition, la résilience s’oppose à l’efficience, c’est pourquoi il est important de trouver un équilibre entre ces deux caractéristiques. Il n’y a donc pas de résilience possible dans un système globalisé, centralisé et uniformisé. C’est une évolution inverse que nous devrons observer pour revenir à un niveau de résilience acceptable et rendre le système plus durable. Dans ce cadre il est urgent de s’intéresser à la résilience locale, c’est-à-dire d’une commune ou d’une communauté de communes, d’un bassin de vie. Il faudra
tenir compte des interactions directes avec les niveaux d’échelle inférieurs (citoyens, familles et acteurs locaux) et supérieurs (département, région, Etat, Europe).
Résilience par rapport à quoi ?
Le système dans lequel nous évoluons, dont le fonctionnement est basé sur l’économie de marché, ne peut tenir sans une croissance permanente de celle-ci, c’est-à-dire un prélèvement toujours croissant sur les ressources minérales, fossiles et sur la biodiversité, une augmentation des déchets et des pollutions. En atteignant le pic des ressources fossiles, l’humanité constate que les changements qui interviennent déjà et qui vont intervenir prochainement sont tous liés les uns aux autres. Nous allons donc vivre de grandes perturbations dans les domaines de l’énergie, de l’économie, du climat, de la biodiversité, de l’eau et du social. C’est donc en prévision de tous ces changements qui surviendront de manière certaine, que nous devons améliorer notre résilience. Il ne s’agit donc pas d’une résilience spécifique, mais plutôt d’une résilience globale ou systémique face à n’importe quel type de choc.
Les critères de la résilience
Les critères permettant d’évaluer la résilience d’un système ont été définis par l’observation de systèmes sociaux-écologiques (écosystèmes, populations humaines soumises à des catastrophes). Ils sont donc issus d’une analyse tenant compte des aspects sociaux, biologiques, culturels, économiques ou techniques. Nous remarquerons, en détaillant ces critères, qu’ils sont effectivement opposés à la logique d’efficience actuelle.
Diversité
Dans les sociétés industrielles, c’est l’esprit de compétition qui domine et ce, dès le plus jeune âge : être le meilleur, le plus efficient, gagner le plus d’argent, posséder plus que les autres. Pour maximiser les profits financiers générés par notre système centralisé, il faut uniformiser et faire disparaître la variété, augmenter la spécialisation et la standardisation.
Les écoles qui forment les élites se multiplient et nous vivons dans un monde d’expertise seule possibilité pour inventer des procédés et gérer des usines, centrales thermiques ou exploitations agricoles toujours plus grandes et toujours plus complexes.
Par ailleurs, il est beaucoup plus rentable et compétitif d’acheter tous ses produits dans un même lieu, à un même fournisseur ou d’avoir un client unique, ce qui limite les dépenses commerciales, de prospection, de publicité.
En France, 75% de l’électricité produite est nucléaire, 85% des surfaces agricoles sont utilisées pour les grandes cultures ou les fourrages, 75% des emplois sont dans le secteur tertiaire. Les exemples sont nombreux qui illustrent la perte de diversité et ce qui est valable pour les systèmes de production l’est aussi pour la consommation. Par exemple, 95% des moyens de transport dépendent du pétrole, 70% de la nourriture est achetée en supermarché…
Cette uniformité rend le système extrêmement vulnérable, comme nous l’avons constaté lors de certains évènements (nuage volcanique, grève dans les raffineries pétrolières) qui heureusement n’ont pas duré. Pour remédier à cela, il faut rapidement diversifier l’ensemble des secteurs de la société, qu’il s’agisse de ce qui est produit (par une entreprise ou une exploitation agricole) ou de ce qui est consommé (alimentation, chauffage, accès aux soins…). C’est une condition indispensable pour éviter l’effondrement et permettre aux territoires de s’adapter aux changements.
Modularité
Le fait de vivre dans un système entièrement globalisé constitue un affaiblissement de la résilience. Les producteurs exportent leurs productions et les consommateurs importent ce qu’ils consomment. Tous sont dépendants, au quotidien, du bon fonctionnement du commerce international, du système boursier, de transports nombreux et fiables. Cette évolution a conduit à une quasi-disparition des circuits courts et du lien local et la globalisation fait peser un risque de réaction en chaîne comme lors d’une pandémie ou d’un crash boursier.
Un système modulaire est constitué d’organisations reliées entre elles mais qui peuvent continuer à fonctionner si elles se retrouvent isolées. A l’échelle d’un territoire, la relocalisation et l’augmentation du niveau d’autosuffisance sont des moyens permettant d’améliorer la modularité. D’un autre côté, l’autarcie ne permettrait pas une efficience suffisante pour que le système soit vraiment durable. Il est donc indispensable de préserver des échanges avec ses voisins, mais simplement de ne plus dépendre intégralement d’un système globalisé dont on sait aujourd’hui qu’il est extrêmement fragile et au bord de la
rupture. Il n’existe pas un idéal de modularité qui puisse s’appliquer à toutes les situations. Il s’agit d’un équilibre à retrouver entre le local et le global, en regagnant de l’autonomie.
Il y a une notion sociale forte dans ce critère. Il caractérise la manière dont les acteurs de la société sont liés entre eux au travers des échanges commerciaux, culturels, éducatifs… Force est de constater que le lien social dans les sociétés industrielles se délite et qu’il est important d’inverser la tendance.
Proximité des rétroactions
Un système centralisé est stable mais peu adaptable. Il peut subir des évènements importants mais ponctuels, comme un nuage volcanique, un phénomène météorologique, une grève ou un blocage à durée limitée, mais l’inertie est telle qu’il est impossible de s’adapter rapidement à un changement.
Ce type d’organisation est donc robuste mais le temps de réaction est allongé par les nombreux niveaux de gouvernance, la globalisation des échanges et la longueur des procédures obligatoires. Ainsi, la période est extrêmement longue entre le moment où la décision est prise, où un levier est actionné et le moment où l’on constate le résultat. Si le résultat n’est pas bon, il est long et complexe d’apporter des corrections.
En octobre 2010, par exemple, les grèves dans les raffineries ont généré une pénurie d’essence dans les stations services mais également chez les transporteurs routiers. Or, les plateformes logistiques de la grande distribution disposent d’environ deux semaines de stock. Que se serait-il passé si la grève avait continué ou si l’arrêt de l’approvisionnement pétrolier était extérieur à nos frontières ? L’Etat aurait-il été capable de réorganiser l’ensemble de la filière alimentaire en quelques jours ?
Améliorer la proximité des rétroactions consiste donc à raccourcir les chaînes de décision et à améliorer l’observation des phénomènes. Cela peut passer par la relocalisation et l’amélioration des outils de communication. Pendant la période de transition permettant de passer d’un système centralisé à un système relocalisé, il convient de créer des stocks ou des
réserves permettant d’allonger le délai disponible pour agir. Les stocks ont disparut au profit de la logistique en flux tendu. Cette absence présente un risque de panique car elle ne laisse aucun délai pour réagir à une perturbation.
Gouvernance de la résilience
Il est important que tous les niveaux décisionnels s’inscrivent dans une même logique d’amélioration de la résilience locale. Pour cela, il faut que les gouvernants acceptent de laisser se développer une économie et une gouvernance horizontale, décentralisée.
Nous allons devoir remettre en cause une grande partie de nos habitudes, de notre organisation, de nos modes de vie. La résistance au changement ne pourra être dépassée que si les citoyens comprennent le côté inéluctable du changement. Il ne sera pas possible de s’affranchir d’une étape d’information, de sensibilisation massive invitant les citoyens à utiliser leur ingéniosité pour réinventer un nouveau mode de fonctionnement. Plusieurs mouvements comme celui des territoires en transition, Alternatiba ou des Colibris misent sur cette émancipation citoyenne et proposent des outils pour cela.
Les citoyens n’ont cependant pas tous les outils en mains, notamment pour la gestion des biens et infrastructures publics ou des réseaux techniques. C’est pourquoi les élus locaux ont un rôle indispensable pour soutenir l’initiative citoyenne, évaluer la faisabilité et financer les projets et sensibiliser les citoyens. Les mesures à prendre sont tellement importantes qu’elles ne pourront être acceptées que par une population sensibilisée et impliquée.
Une piste à suivre pour catalyser la relocalisation des activités et le renforcement du tissu économique et social, serait la création d’une agence de coordination des échanges locaux.
Ce type de structure pourrait mettre en lien des personnes en recherche d’activité professionnelle et des citoyens ou organisations exprimant un besoin (bien ou service). A l’inverse, elle pourrait valoriser un producteur local en invitant les habitants à s’orienter vers la consommation de ses produits, dès l’instant où elle s’inscrit dans une démarche éthique,
utile et durable.
L’Etat, quant à lui, ne doit pas chercher à garder une maîtrise totale du fonctionnement des territoires, au travers d’un fonctionnement vertical. Il devra donc donner des objectifs de résultat en orientant les politiques locales grâce à des incitations fiscales et réglementaires.
Mais il devra laisser une grande liberté de moyens afin de permettre aux territoires de faire en fonction de leurs caractéristiques particulières (climat, tissu économique, reliefs, terres arables, réseaux de transport). L’Etat restera le gestionnaire de la sécurité, du parc nucléaire, des relations internationales …
Définir des priorités
Puisqu’il est impossible de savoir exactement quelle sera l’évolution de nos sociétés industrielles, la définition des priorités d’action et d’affectation des ressources est bien complexe. Notre monde étant aux mains d’experts, chacun d’entre eux estimera de manière quasi-certaine que sa spécialité est, de toute évidence, la priorité.
Pourtant, la priorité absolue doit être d’apporter, en toutes circonstances, une réponse aux besoins vitaux des citoyens. Nous n’aurons plus les ressources suffisantes pour continuer à consommer comme aujourd’hui. C’est pourquoi il va falloir revenir aux fondamentaux en se demandant : de quoi l’humain a-t-il vraiment besoin pour vivre ?
Après avoir répondu à cette question, nous saurons quelles sont nos priorités et nous pourrons construire, sur cette base, une vision positive de l’avenir et passer enfin à l’action”
Source : Aspects de la résilience des sociétés de l’après-pétrole de Benoît THÉVARD